inies les somptueuses largesses. Le luxe ne sortira pas indemne de la crise économique et financière, même s'il est plus tardivement et moins violemment touché par cette onde de choc que d'autres secteurs. Aux prévisions de chute du marché mondial du luxe, estimées dès novembre 2008 par un recul de - 2 % à - 7 % des ventes en 2009 par le cabinet Bain & Company, succèdent, depuis début janvier, une litanie de plans de licenciements, de réduction des investissements et de projets reportés à des temps meilleurs.
Ces mauvaises nouvelles sont pour le moins inhabituelles dans un secteur - qui emploie, selon une récente étude de Boston Consulting Group pour le Comité Colbert, 200 000 personnes en Europe dont 80 000 en France - dont la rentabilité à deux chiffres a longtemps fait des envieux.
Le géant du luxe Richemont, le plus grand producteur mondial de diamants De Beers, le constructeur automobile Bentley, la très chic marque anglaise Burberry, les magasins américains Saks, Jean-Louis Scherrer, le maroquinier Lamarthe, L'Oréal et même Chanel doivent se résoudre à faire des économies. LVMH a renoncé à son projet d'ouvrir une grande enseigne Louis Vuitton à Tokyo.
Les ventes de Noël des grands magasins Saks se sont révélées calamiteuses (- 19 % par rapport à Noël 2007), et la sanction n'a pas tardé : la direction a annoncé mi-janvier la suppression, d'ici à la fin du mois, de 1 100 emplois, soit près de 9 % des effectifs. Les investissements sont, eux, réduits de moitié pour l'année, à 60 millions de dollars (46 millions d'euros).
Ce sont presque autant d'emplois qui vont disparaître chez De Beers : un millier sur un effectif total de 3 500 en Afrique du Sud. "La production dans l'ensemble de nos activités minières sera réduite et ajustée au fil de l'eau, en fonction de la demande de la clientèle", assure le groupe. Les suppressions de postes sont prévues dans les mines du Botswana, d'Afrique du Sud, de Namibie, du Canada, et au siège à Londres.
Après avoir abaissé sévèrement ses prévisions de résultats pour 2008 en raison d'une contraction des marchés européen et américain, L'Oréal, le numéro un mondial des cosmétiques, a d'abord annoncé, "pour la première fois depuis de très nombreuses années" la fermeture de deux usines, l'une au Pays de Galles et l'autre à Monaco. Avant de se résoudre à supprimer 500 postes aux Etats-Unis (4,8 % des effectifs américains) d'ici à mi-2009.
"CHUTE DRAMATIQUE"
La crise n'est-elle qu'un prétexte pour baisser les coûts ? Malgré une envolée de son chiffre d'affaires lors des trois derniers mois de 2008 (+ 30 %, à 360 millions d'euros) amoindrie par un taux de change défavorable, le groupe britannique Burberry pourrait supprimer 540 emplois au Royaume-Uni et en Espagne. La directrice générale Angela Ahrendts, qui vise 50 millions de livres (53 millions d'euros) d'économies dans les deux ans, s'inquiète de la médiocrité des ventes en Espagne, et particulièrement des mauvaises performances de Thomas Burberry. Au Royaume-Uni, l'atelier de couture de Rotherham pourrait être fermé, et toute la production focalisée à Castleford, où sont fabriqués les fameux trenchs à doublure écossaise.
Fait rarissime, le joaillier français Cartier (filiale de Richemont), mettra 180 des 200 salariés du site de Villars-sur-Glâne (Suisse) au chômage partiel pour trois mois dès février. Pour s'adapter à la mollesse du marché, ces fabricants de boîtiers de montres ne travailleront pas trois jours par semaine, et recevront 80 % de leur salaire. Signe de cette morosité, le Salon international de la haute horlogerie s'est déroulé cette année dans une ambiance "glaciaire" à Genève, sur fond de très nette baisse de fréquentation. Même si les ventes de Richemont ont augmenté de 5 % entre mars et décembre 2008 (à 4,4 milliards d'euros), malgré l'effondrement du marché américain, le groupe "ne voit aucune raison d'être optimiste" : "La demande en produits de luxe (...) a chuté de façon dramatique, et Richemont fait actuellement face aux conditions de marché les plus difficiles depuis sa création, il y a vingt ans."
Alors que la dernière boutique Jean-Louis Scherrer a été fermée fin décembre 2008 par l'homme d'affaires Alain Duménil, le maroquinier Lamarthe externalisera en mars la totalité de sa production (307 salariés).
Enfin, l'annonce du non-renouvellement de 200 contrats en CDD et intérimaires au 31 décembre 2008 chez Chanel a fait grand bruit. "Ces mesures de prudence (...) doivent nous permettre de maintenir l'emploi permanent", indique une note interne de la direction. Selon Bruno Pavlovsky, président de la division mode de la maison de luxe, "Chanel s'attend à une croissance ralentie de ses activités en 2009". Les projets d'ouverture de boutiques, comme la création d'un grand laboratoire de recherche et développement à Pantin, ne sont pas remis en cause. En revanche la tournée mondiale de l'exposition Mobile Art a été stoppée net.
Elisabeth Ponsolle des Portes, déléguée générale du Comité Colbert, qui regroupe les grandes maisons de luxe en France, ne veut pas sombrer dans le catastrophisme. "Même si le luxe n'a pas de raison d'échapper à la crise, à ce jour, aucun de nos membres ne prévoit de licenciements", tempère-t-elle.